Etude des pratiques internet liées à la mode

Pour ce sujet, nous avons choisi de nous intéresser aux nouvelles pratiques liées à la mode qui se sont développées sur internet ces derniers années. Nous avons fait le choix de ne pas vraiment séparer état de l'art et analyse, dans la mesure où très peu d'études ont été réalisées sur ce sujet spécifique, et afin de ne pas rendre la lecture trop rébarbative. Il s'agit d'une approche à la fois technologique et sociologique sur ces pratiques, et une tentative d'analyse. Le web ne connaissant pas de frontière, nous prendrons pour illustrer nos propos des exemples de sites du monde entier.

Après s’être approprié la musique, le cinéma ou les séries, les utilisateurs du web s’approprient maintenant la mode. Désormais, elle n’est plus seulement dictée par les magazines et les marques. Le web permet une nouvelle forme de créativité dans ce domaine, et la volonté de vouloir exprimer sa personnalité par des vêtements unique se concrétise, notamment grâce à des pratiques dérivées du « do it yourself ». De plus, grâce à leur maitrise des codes du net (au sens propre et au sens figuré), ces fans de mode appliquent à leur passion toutes les « recettes » du web 2.0 : réseaux sociaux, publication de photos, montages, échange de commentaires, liens, blogging, embending, et caetera... Leur créativité dans ce domaine n'a pas de limites. La plupart font partie de la génération de ce que Mark Prensky a appelé les « natifs digitaux », par analogie avec les natifs d'un pays. Ils sont nés avec les nouvelles technologies, parlent la langue internet, en connaissent les régles, les codes et les possibilités. Et continuent encore et encore d'en proposer de nouvelles utilisations ...

Pour cette étude, nous nous sommes attaché au thème commun de la mode qui relie tous ces utilisateurs, et pas à un des supports d'expression en particulier. Nous n'allons pas vous parler uniquement des blogs par exemple, mais c'est toutefois par là que nous allons commencer. Le blog, contraction de web log, est un format de site internet proche du journal intime. Jour après jour, on y poste des billets, on raconte sa vie, on parle de ce qu'on aime. Les tous premiers blogs datent des années 90 aux Etats-Unis, mais c'est la création de Blogger en 1999 qui est le point de départ de la popularité et de la démocratisation des blogs. L'émergence du web 2.0 voit se développer de nombreux sites proposant à tout à chacun de créer son blog en tout simplicité, le Blogspot de Google, Skyblog, Canalblog, Typepad, et caetera. Petit à petit, l'usage du blog se répand, et n'est plus l'apanage de ceux qui s'y connaissent en programmation de site. Une foule de gens passionnés par la mode consacrent aujourd'hui leur blog à parler de vêtements. Ils s'emparent de toutes les fonctionnalités que leur propose le net, se les sont réapproprié, et en ont fait leur nouveau terrain de jeu. Comme toujours avec internet, il n'y a pas de règles absolues ; ces blogs sont parfois un mélange de considérations stylistiques et d'autres éléments de vie privée, mais beaucoup sont consacrés exclusivement à la mode. On y présente ses derniers achats, sa tenue du jour, les plus beaux vêtements repérés au défilé de tel créateur, les collaborations entre marques, des bon plans d'achats sur internet ou en boutiques, et ainsi de suite. Autant d'informations de plus en plus pointues données par tout un chacun, simples passionnés aussi bien que blogs personnels d'intervenants professionels de la mode, mis ici sur un pied d'égalité. Autant dire que les magazines féminins font face à une sacré concurrence avec de nombreux blogs qui proposent en temps réel et gratuitement du contenu de qualité.

Ces blogs mode, aussi parfois appelés en France « blogs féminins » ou « blogs de fille » ont fait parler d'eux récemment avec le classement de blogs les plus influents mis en place en collaboration entre Wikio et le magazine Elle. Il a fait beaucoup de bruit notamment parce que ses catégories étaient considérées comme régressives. Beauté, mode, ou cuisine, mais pas de catégorie de blogs féminins politique par exemple. Nous n'aborderons pas ici en détail l'aspect polémique que cela soulève, qui serait hors sujet ici, mais la réponse donnée par une des responsable de Elle pour la justification de ces catégorie est intéressantes : il n'y avait pas assez de blogs politiques, ou informatiques tenus par des femme pour en faire une catégorie à part, ce qui montre bien que les blogs de mode connaissent un véritable essor et sont maintenant très nombreux rien qu'en France, et certains étant très influents et fréquentés.
Liens

Blogs mode
http://blogs.lexpress.fr/cafe-mode/ http://www.thecherryblossomgirl.com/
http://www.punky-b.com/
http://www.garancedore.fr/
http://www.punky-b.com/
http://zoemacaron.blogspot.com/
http://carnetdemode.blogspot.com/
http://liebemarlene.blogspot.com/
http://stylebubble.typepad.com/
http://www.leblogdebetty.com/
http://www.tokyobanhbao.com/
http://karlascloset.com/
http://kingdomofstyle.typepad.co.uk/
http://thestylishwanderer.blogspot.com/

Street style
http://thesartorialist.blogspot.com/ http://altamiranyc.blogspot.com/
http://facehunter.blogspot.com/
http://thestreetswalker.blogspot.com/
http://www.hel-looks.com/

http://www.styledumonde.com/
http://trendycrew.com/
http://www.feedshion.com/
http://www.stylesightings.com/
http://stylescout.blogspot.com/
http://stylefromtokyo.blogspot.com/
http://damstyle.blogspot.com/

Sites communautaires/forums
http://ladiesroom.fr/

http://www.carolinedaily.com/forum/

http://stylezeitgeist.com/
http://www.thefashionspot.com/

Plate-forme de styles du jour
http://lookbook.nu/

http://modepass.com/
http://www.chictopia.com/

http://mystylediary.stylehive.com/
http://www.weardrobe.com/

Autres :
http://www.showstudio.com/
http://www.flickr.com/
http://www.ebay.fr
http://www.etsy.com
Expression de soi
Cette immense quantité de blogs de mode parlent de vêtements, mais parler de ce qu'on aime, c'est aussi parler de soi. Sur ces blogs, qu'ils soient français, américains, ou allemands, une pratique en particulier est très répandue : se prendre en photo pour montrer le dernier achat qu'on vient de faire, ou sa tenue du jour. Faire un blog sur la mode permet de donner à voir et à lire un « soi exprimé », un « soi textualisé » mais aussi un soi photographié dans les billets postés à travers de ces « technologies du soi », pour reprendre l’expression de Foucault, que sont les blogs et les plateformes d’échange de contenu expressif (que nous détaillerons plus loin). Ces photos et ces articles sur la mode sont autant de bricolages « esthético-identaires ». Ces blogs sont au même titre que des blogs classiques des moyens d’expérimentations identitaires.
S'habiller, choisir un vêtement, une couleur, une coiffure, c'est exprimer sa personnalité à travers son apparence. Parler de ce qu'on aime sur internet est aussi parler de soi. Mélanger ces deux concepts, montrer ce que l'on porte sur un blog personnel, et l'expression de soi est encore plus exacerbée. Ainsi on peut voit comme description sur la page Flickr d'une de ces personnes, « What i wore, what am i » (« Ce que je porte, ce que je suis »). Ces photos de tenues reçoivent des commentaires et appréciations venant des autres internautes. Il y a une sorte de narcissisme rassurant dans ce phénomène de mise en scène de soi. Ces photos peuvent être prises très simplement par soi-même grâce au reflet dans la glace (dans laquelle l'appareil numérique est souvent visible). L'utilisation du retardateur de l'appareil ou l'aide de quelqu'un permettent des mises en scènes plus élaborées. Certains se contentent d'une simple pose toute droite façon catalogue, d'autres prennent des poses très élaborées, jouent avec l'éclairage. Parfois certaines personnalisent leurs photos en utilisant photoshop : visage caché avec des étoiles, photos en noir et blanc, effet de flou, montage… Ces mises en scènes relèvent parfois un peu du jeu, du déguisement, une façon de se réapproprier son image. Développer son imaginaire, se prendre pour un mannequin le temps de la photo, et c'est aussi une recherche d'approbation. Les commentaires laissés sur les blogs sont autant de validation de la vie et de la personnalité de la personne qui a crée le blog ou qui a posté la photo. On la valide comme si elle était une œuvre d’art, respectant ainsi le vœu de Foucault et de l’individualisme expressif.


Exemples de ce type de photos, classiques, mises en scène ou photoshopées (cliquez sur les images pour les agrandir) :




Recherche d'originalité et « Do it yourself »
Beaucoup de ces amateurs de mode sont à la recherche de tenues originales, voire si possible unique. La possibilité de voir les tenues d'internautes du monde entier crée une sorte d'émulation mondiale. On cherche à ne pas ressembler aux gens que l'on croise dans la rue, mais pas non plus aux autres internautes. Le foisonnement d'internet rend évidemment possible l'achat de marques peu connus, mais aussi la vente de vêtements vintages (occasion, vêtements des années 30, 40, 70, et caetera), grâce à des sites comme Ebay, Etsy et bien d'autres. C'est aussi une réaction à la « fast fashion », expression dérivée du « fast food » qui regroupe les vêtements produits à la chaîne dans des pays en voie de developpement, peu respectueux de ceux qui les produisent, et avec des tissus et coupes laissant à désirer.
Le site Etsy est intéressant, car il met en avant plusieurs types de pratiques. Il permet la vente et l'achat de vêtements vintage, donc quasiment uniques, proposant des coupes et couleurs originales ; vous avez peu de chance de croiser quelqu'un dans le monde avec le même vêtement que vous. De plus, ce même site propose également l'achat et la vente d'objets que vous avez vous-même créés ou personnalisés. Pull tricoté à la main, t-shirt personnalisé avec des perles ou robe longue transformée en robe sexy, une infinité d'objets uniques, résultats de la pratique du « Do it Yourself », le côté bricolage de la customisation ou de la création par l'utilisateur.
Preuve que les consommateurs sont devenus des « Prosumers », contraction de producer et consumer, entre production de contenu sur internet, de sites, mais aussi d'objets matériels, fabriquant parfois leur propres vêtements ou accessoires.
Le site Etsy propose également quelque chose de très original pour ceux qui ne se sentent pas « prosumer » dans l'âme, une rubrique nommée Alchimy. Si vous n'êtes pas très manuel, vous pouvez faire une requête illustrée ou non par des croquis et photos pour que quelqu'un réalise le vêtement ou l'objet de vos rêves à votre place. Vous pouvez aussi faire refaire une robe de marque, permettant de l'avoir à moindre coût avec possibilité de rajouter des détails, d'en changer la couleur, et ainsi de suite. Un bon exemple ici de l'entraide et échanges qui existent sur internet.
Surfant sur cette vague, le site des Trois Suisses propose lui aussi depuis peu de réaliser des vêtements sur mesure. On choisit son tissu, forme, manches, détails, etc. On obtient ainsi des pièces uniques. Une sorte de « do it yourself » par interposition, pour les personnes qui ont une idée en tête pour un vêtement, mais n’ont pas le temps ou les capacités de le créer eux même.
Pour ceux qui aiment les travaux manuels, le net permet bien sûr de forums d'entraides et la diffusion de trucs et astuces de couture pour réaliser ses propres vêtements. Il est intéressant de voir que certains grands couturiers profitent même du support internet pour mettre en ligne des patrons de leur création, rendant accessible à tout un chacun des pièces de créateur (à condition de savoir bien coudre, ou de faire une requête sur un site de type Etsy). C'est le cas sur le site showstudio.com, où on peut trouver des patrons de John Galliano, Yohji Yamamoto ou Martin Margiela.
Cette tendance indique une réelle volonté de la part des internautes fans de mode de se démarquer, d’être unique, et d’exprimé son individualité à travers des vêtements originaux, une identité ensuite montrée et exposée sur le web.

Exemples de pages du site Etsy (vente de produits créés par les vendeurs, de vintage, et demande de customisation), les 3 Suisses et patron de John Galliano :



Hypersociabilité et participatory culture

Ces pratiques sont loin d'être un simple étalage narcissique et solitaire des goûts de tout un chacun. Nous venons de voir que des sites proposent des échanges marchands ou d'entraide entre internautes comme sur le site Etsy. Nous avons également parlé plus haut de la validation de l'identité par le commentaire. Car si on se montre pour être vu, on regarde aussi beaucoup, et on discute, on laisse soi-même des commentaires. De liens en liens, on trouve d'autres blogs, qui forment tout un réseau. Ces « soi » qui s'expriment ne sont pas seuls, ils intéragissent. En fait, l'univers de la mode sur internet est exactement ce que James Gee appelle un « affinity space », un espace d'affinité. On partage connaissances et expériences sur le domaine concerné, les membres de cette communauté sont intéressés par les mêmes chose. Cela dépasse l'âge, les frontières des pays, le niveau d'éducation et le statut économique. C'est exactement ce qui se produit ici. Cette affinité et cette passion commune pour la mode produit une hypersociabilité, concept développé par Henry Jenkins ou Mizuko Ito, mettant en avant de nombreuses interactions sociales entre gens qui partagent un même centre d'interêt. On trouve de nombreux forums ou sites participatifs qui sont consacrés à la mode . Il est d'ailleurs amusant de constater que malgré la grande quantité de sites communautaires, il n'est pas rare d'y retrouver les mêmes intervenants. Un univers presque infini, mais où les participants les plus actifs se connaissent tous plus ou moins. Comme partout où il existe ce type d'interactions sociales, amitiés et rancoeurs se font et se défont entre les participants.

L'univers de la mode envahit aussi des sites de contenus, comme Flickr, exemple typique du Web 2.0 et de la participatory culture dont parle Henry Jenkins, qui permet en un clin d'oeil de diffuser son propre contenu photographique. On trouve donc sur Flickr une grande quantité de ces photos de tenues quotidiennes, notamment dans une des catégories nommée «Wardrobe remix» (wardrobe = garde-robe). Il est toutefois très intéressant de constater que cette communauté a aussi mis en place ses propres plate-forme, très spécialisées, conçues pour poster ses photos de style uniquement, par exemple les sites Modepass ou Chictopia pour ne citer qu'eux. On poste ses photos de looks, et on a la possibilité de laisser des commentaires, et de donner une note à la tenue, exactement sur le même principe que pour les vidéos de Youtube. Sur le même principe que Deezer ou Jiwa et leurs playlists, vous pouvez ici en un clic composer votre lookbook, regroupant vos tenues favorites ou celles qui vous inspirents, et la partager.
Il existe également des Wiki, les encyclopédies participatives, consacrés uniquement à la mode, comme celui du site Caroline Daily, qui permet de comprendre les termes parfois très spécifiques et pointus qu'emploie cette communauté en parlant de vêtements, mais on trouve aussi sur ce wiki aussi des éléments d'histoires de la mode. En effet, outre l'exposition un peu narcissique de sa garde-robe, la plupart de ces gens sont avant tout des passionés du vêtements et de son histoire, et partagent avec plaisir leurs connaissances. Aucun doute, cet univers s'inscrit bien dans la participatory culture dont parlait Jenkins.


Remixabilité
Tentons maintenant de voir en quoi on peut appliquer le concept de remixabilité à l'univers de la mode sur internet. Remix culture est un terme de Lawrence Lessig pour qui il s'agit d'une culture d'encouragement au mélange, à la dérivation. Un remix, un mélange de travaux copyrightés. C'est pour lui un processus très sain de création et de recréation. Si on ne peut pas parler vraiment de remix de travaux copyrightés dans l'univers de la mode, comme on pourrait le faire pour les montages des vidéos youtube, il est toutefois certains que l'univers de la mode remixe et arrange à sa façon de nombreux éléments divers.
Tout d'abord, les accrocs à la mode d'internet n'hésitent pas à mélanger une grande diversité d'influences pour se vêtir. Pour composer une tenue originale, cela ne leur pose aucun problème de porter une chemise luxueuse de couturier avec une jupe payée 15 euros dans un magasin de type H&M. D'ailleurs ils n'hésitent pas non plus à s'inspirer des tenues des défilés et à tenter de les recréer avec leurs propres moyens. Vêtements cousus eux même, pratique du « do it yourself » comme vu plus haut, ou trouvaille de vêtements ressemblants dans des enseignes plus abordables financièrement. Après tout, la seule règle de cette remixabilité est de s’amuser et d’être unique. Malgré les apparences, ce phénomène est directement relié à internet. L'accumulation de blogs et de « personnes normales » postant leur tenue ont petit à petit cassé la sacralisation des marques de luxe et la domination des magazines de mode. Internet a permis d'effectuer un réel changement des mentalités. Il n'est plus honteux de mélanger frippes et luxe, au contraire. Une des catégories de Flickr reprend d'ailleurs ce terme, « Wardrobe remix ».
La remixabilité s’effectue aussi et surtout à travers la forme des photos : comme certains s'amusent à faire des montages sur youtube ou à retourner des passages de films avec leur webcam, les photos d'internautes montrant leur tenue reprennent très souvent les codes institués par les photos de magazines pour les adapter à internet, c'est-à-dire en prenant pour modèle des filles ou garçons « ordinaires » (au sens où ce ne sont pas des mannequins) portant des vêtements plus accessibles. La mise en scène va parfois très loin, avec des photos en plein air, jardin, forêt, prise de poses extravagantes mettant en valeur la silhouette mais peu naturelles, et caetera. Certains photographes amateurs mettent pour l'occasion leur talent à profit, et certains n'ont pas grand chose à envier à ceux de Vogue.

Exemples de photos reprenant les codes des magazines de mode (cliquez sur les images pour les agrandir) :



Nous avons déjà évoqué le fait que la plupart des membres de cette communauté sont de la génération des natifs digitaux. Ils maîtrisent donc pleinement les différentes fonctionnalités du web. Ils utilisent donc entre autres le mash-up, mélangeant code et image, sur les photos proposant les tenues par exemple. Sur Flickr, il est possible de rajouter un petit encadré indiquant qu'une légende est disponible pour certaines parties de l'image. Ceux qui postent leur tenue s'en servent parfois pour détailler des pieds à la tête ce qu'ils portent, la marque du vêtement, où ils l'ont acheté, le prix, etc. Pour voir un exemple de mash-up sur Flickr, cliquez sur cette phrase.
Ce mash-up s'illustre aussi à travers le mapping, utilisé pour cartographier des itinéraires de shopping ou les magasins branchés sur Google map par exemple.

                Exemple de Shopping-Mapping à Paris


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                Exemple de Shopping-Mapping à New York


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The Sartorialist
Sous le pseudonyme «the Sartorialist», le photographe Scott Schuman, a dès 2005 initié grâce à son blog le phénomène du «street style ».
Aujourd’hui, il fait parti des 100 personnes considérées comme les plus importantes du monde de la mode au même titre qu’Anne Wintour, la rédactrice en chef de Vogue. Sa notoriété a dépassé les limites d'internet, il a été choisi par Donna Karan pour shooter une campagne de DKNY Jeans. La créatrice a expliqué cette décision par le fait que cela permet à la marque, non seulement de réduire ses dépenses de publicité, mais aussi d’attirer l’attention des fashionistas pour qui le Sartorialist est aussi prestigieux que n’importe quel autre photographe de mode. Engager le Sartorialist permet à la marque de trouver une visibilité plus marquée dans la blogosphère en créant autour de la campagne un buzz médiatique.
Son blog : http://thesartorialist.blogspot.com/




Absence de frontières entre la vie et le net
Nous avons déjà évoqué la vague de personnes se prenant elle-même en photo quotidiennement pour prendre en photo leur tenue, mais il existe un autre phénomène récent, nommé le street style. Aux quatres coins du monde, des blogueurs photographes (souvent des hommes d'ailleurs, contrairement à la majorité féminine qui se prend elle même sur les blogs) se promènent dans les rues de leur ville, prennent en photo les tenues des gens qui leur plaisent, parfois à la dérobée, parfois en leur demandant de poser un instant. Ils choisissent les tenues qui leur paraissent originale, harmonieuses, ou qui proposent des détails amusants, et les postent ensuite sur leur blog. Le premier et le plus connu est le Sartorialist, mais il est loin d'être le seul, les sites de ce genre se sont multipliés, et certains posts se concentrent parfois sur certains éléments en particulier, par exemple les chaussures, à la limite du fétichisme. Ces tenues ont un côté plus naturel que les mises en scène de sa propre tenue, car les gens ne s'attendaient sans doute pas à être pris en photo en sortant de chez eux. Toutefois ces photos de street style ont un grand succès et inspirent ceux qui composent leur tenue, et les personnes photographiées sont peut-être elle-même lecteurs ou participants aux sites et blogs de mode.

Ces deux pratiques distinctes, mais liées, la prise en photo de sa propre tenue et les « chercheurs de style» qui arpentent les rues avec leur appareil photo en quête de tenues intéressantes montrent bien que ces pratiques ne se limitent pas à internet. Il est un support, mais il y a des aller/retour constants entre la vie et internet, on passe de l'un à l'autre en un instant, il fait partie de la vie quotidienne. Cela prouve aussi que comme dans l'industrie de la musique où le consommateur s'est pris en main, la réversiibilité des rôles a eu lieu aussi dans le monde de la mode.


     Exemples de Street Style (cliquez sur les images pour les agrandir) :

En effet, le consommateur n’est plus juste quelqu’un de passif qui va acheter ses vêtements en boutique et c'est tout. Il s'inspire aussi bien des défilés que des autres blogeurs ou des utilisateurs de réseaux consacrés à la mode, il montre sa propre tenue qui inspirera peut-être à son tour d'autres personnes, échange de vêtements, vend et achète, mais aussi fabrique ou customise. Il y a toute une construction de son propre style (même si en fait il est parfois très inspiré par celui d'autres personnes), être unique, et ne plus se le laisser dicter les tendances uniquement par l'industrie de la mode, et encore moins par les magazines. Si ce phénomène a pris une si grande ampleur, c'est probablement parce que la mode paraît plus accessible ainsi que présentée par des mannequins parfaits (et retouchés) sur papier glacé. Sur internet, certains se sont rendus compte qu'eux aussi pouvaient être beaux sans leur ressembler, une beauté ordinaire, associées à de nombreux moyens d'expression et de créativité ordinaire, qui vient de tout un chacun. Jouer avec ses particularités et ses imperfections, se mettre en valeur, mettre en valeur des vêtements autres que de luxe. Au final, on est très loin de la conception d’internet isolateur et coupé du monde dont parlaient certains alarmistes il y a quelques années, au contraire, c'est un va et vient incessant entre le net et la vraie vie, entre les sites de mode et la rue, et une source inépuisable de potentiel et de créativité.

Industrie de la mode et leurs réactions face à ce phénomène
Bien sûr, les industries de la mode sont très conscientes de ce nouveau phénomène et tentent d’en tirer parti. Des créateurs parmi les plus connus avouent lire les billets des blogueurs et étudier les tenues postées et s'en inspirent parfois. La créativité de certains utilisateurs est telle qu'ils lancent parfois des modes.Les blogs leur permettent de voir quel sont les styles de vêtements les plus commentés, les plus populaires, en un mot, ceux qui marchent le mieux auprès des gens. Cela permet aux marques moins haut de gamme qui s'inspirent souvent allégrement des défilés de prévoir les nouvelles tendances qui marcheront le mieux et donc de voir de quelles pièces s'inspirer. Les marques ont compris l’importance de cette tendance et courtisent les bloggeuses de mode: ces dernières sont parfois invitées à participer à des défilés afin qu’elles en parlent sur leur site et ainsi incitent les lectrices à l’achat. De même, de plus en plus de magazines de mode traitent de ce rapport de plus en plus fusionnel entre mode et web en proposant des portraits et interview des bloggeuses les plus célèbres ; le numéro 56 du magazine Glamour consacre plusieurs pages, titrées Profession Fashion Bloggeuses, aux bons plans et autres astuces de quatre célèbres bloggeuses françaises. La plupart proposent d'ailleurs eux même une plateforme web à leurs lectrices. Des émissions télévisuelles consacrées à la mode (comme l’a fait par exemple l’Atelier de la mode sur France 5) invitent des bloggeuses connues comme les fondatrices de MonShowRoom.com afin qu’elles contribuent à l’émission. Le phénomène commence même à s'étendre au dela du cercle de la mode. Le Monde ou encore Télérama ont déjà consacré des articles aux blogueurs. Et le Vogue français compte maintenant parmi ses photographes officiels le Sartorialist. Les magasins de distribution traditionnels sur le net se dotent de plus en plus d’espace de conseils qui se rapprochent de sites et magazines de mode, comme le site Lebazarparisien, ou voire même un espace communautaire, comme sur le site Totokaelo.

Conclusion
La communauté de passionnés de la mode a envahi de nombreuses pratiques internet, du blog au site communautaire, en passant par le mash-up. Il est fort probable que si la mode a investi si rapidement le web, c’est parceque les consommateurs se sont repris en main, et ont voulu inverser les rôles. Elle parait ainsi plus accessible à tous : elle n’est plus synonyme de mannequins stars et de luxe, elle est également représentée (et aussi bien) par tout un chacun, utilisateurs désireux de montrer que la mode appartient avant tout à ceux qui la portent. La mode se démocratise, les consommateurs passifs d’autrefois sont devenus des acteurs plus ou moins influents au sein du monde de la mode. La reversibilité des rôles grâce à internet s'applique décidement à bien des domaines !

Nous avons abordé les principaux aspects qui ressortaient de ces communautés et plusieurs pratiques internet liées à la mode. Internet étant un média constamment changeant, cette étude ne saurait être exhaustive ou définitive. Nous espérons toutefois avoir dit le principal.


Bibliographie :
- Gee, James. Situated Language and Learning: A Critique of Traditional Schooling. New York: Routledge, 2004. ISBN 0415317770, ISBN 0415317762.
- Jenkins, Henry. Convergence Culture: Where Old and New Media Collide. New York: New York University Press, 2006.
- Mizuko Ito, "Technologies of the Childhood Imagination: Yugioh, Media and Everyday Cultural Production," in Joe Karaganis and Natalie Jeremijenko (eds.), Network/Netplay: Structures of Participation in Digital Culture (Durham, N.C.: Duke University Press, 2005).

- Prensky, Mark, Digital Game-Based Learning, McGraw-Hill 2001
- Médiamorphoses numéro 21 : 2.0 ? Culture numérique, cultures expressives, coordonné par Laurence Allard, septembre 2007, INA

Lucie Ménard et Aline Fanget, L3 Arts et Culture à l'universite Lille 3 pour le cours de Laurence Allard.